Les réserves de change et le développement économique ? (Matata Ponyo)

Ce que je pense est que les réserves de change constituent un des leviers clés dans la stratégie du développement d’un pays.

La problématique de l’accumulation de réserves de change remonte très loin dans l’histoire des politiques économiques. Rappelons-nous du bullionisme du XVIème siècle qui considérait les métaux précieux comme la richesse d’une nation et préconisait le protectionnisme commercial contre la sortie de ces métaux.

Selon le Fonds monétaire international, cinq objectifs principaux peuvent justifier l’accumulation de réserves de change. Le premier est celui de susciter et maintenir la confiance dans la politique monétaire et la politique de change en assurant la capacité à effectuer des interventions sur le marché des changes ; le second est de limiter la vulnérabilité externe par le maintien des liquidités en devises étrangères afin d’absorber les chocs en temps de crise ou lorsque l’accès au financement extérieur est restreint ; le troisième est de donner aux marchés l’assurance que le pays est en mesure de remplir ses obligations extérieures ; le quatrième est de démontrer le soutien à la monnaie nationale par des avoirs extérieurs de réserve, et aider le gouvernement à satisfaire à son besoin de financement en devises étrangères et à s’acquitter de ses dettes extérieures ; et enfin, le cinquième est de maintenir des réserves en cas de catastrophes d’urgences nationales.

Tenant compte de ces objectifs, il s’avère que la motivation première pour avoir suffisamment d’actifs liquides en devises étrangères dans un pays est d’assurer la liquidité en cas de crise de balance des paiements ou de revirement des capitaux étrangers. Il s’agit donc d’une motivation de précaution.

Ce que je pense est que les réserves de change doivent atteindre un niveau optimal pour l’accomplissement de cinq missions ci-dessus évoquées. Plusieurs ratios d’adéquation sont généralement utilisés pour apprécier cette optimalité et prendre de décisions rationnelles de politique économique.

Il s’agit d’abord (a) du taux de couverture des importations qui doit être d’au moins trois mois. Ce critère tient compte de perspectives d’équilibre de la balance des paiements. Ensuite, il y a (b) le ratio de réserves de change rapportées à la dette extérieure à court terme. Ce ratio mesure la capacité d’un pays à rembourser rapidement sa dette exigible, notamment en période de crise.

L’indice de référence est de 1 %. Il y a aussi (c) le ratio des réserves de change rapportées à la dette extérieure totale qui reflète la capacité d’un pays à rembourser le total de sa dette extérieure avec les réserves de change ; le niveau de 40 % étant la proportion optimale. L’on parle également (d) du ratio des réserves de change rapportées à la monnaie et à la quasi-monnaie (M2).

Ce ratio est utilisé comme indicateur de précaution en cas de crise financière. L’indice de référence se situe entre 10 % et 20 % pour les pays ayant opté pour le régime de change fixe, et de 5% à 10 % pour les pays ayant recouru au régime de change flottant.

Enfin, il y a le ratio des réserves de change sur le Produit intérieur brut (PIB) qui doit être égal à 9,1 % ; avec ce niveau, le pays est capable d’absorber un choc du compte de capital de près de 10 %.

Ce que je pense est qu’il existe un vif débat sur l’utilisation de réserves de change excédentaires dans les différents pays africains, y compris en RDC. Moi-même, alors que j’étais premier ministre, j’ai vécu ce type de débats entre ceux qui croyaient qu’il fallait utiliser les réserves de change pour booster la croissance et ceux qui pensaient qu’il fallait les consolider davantage, vu leur niveau encore bas et la fragilité du cadre macro-économique. J’étais du dernier groupe.

A l’époque, certains pays africains avaient atteint le niveau de réserves de change de loin supérieur à celui de la RDC. C’est le cas notamment de l’Afrique du Sud avec 49 milliards de USD à fin décembre 2014 et du Maroc avec 20 milliards USD à la même date. Alors que la RDC n’avait que moins de deux milliards USD au même moment.

Au-delà de ce débat non stérile, il n’en demeure pas moins vrai que la constitution de réserves de change a un coût d’opportunité qu’il faut effectivement apprécier pour assurer l’équilibre entre la stabilité du cadre macro-économique à court terme et les objectifs du développement économique à long terme qui passe notamment par la construction des infrastructures de base.

En effet, selon la Banque mondiale, le déficit d’infrastructures freine la croissance économique de l’Afrique à concurrence de 2 % par an. Par ailleurs, une étude menée sur un certain nombre d’économies africaines démontre que le coût de détention de réserves en devises en excès pourrait osciller en moyenne entre 0,35% et 1,67% en termes du PIB. Ce taux comprend le coût social de la consommation et de l’investissement domestiques incontournables, de même que le coût financier et les tensions sur les politiques monétaires découlant des efforts visant à neutraliser toute nature de chocs internes et externes pouvant impacter la politique monétaire.

Le coût social pouvant être mesuré comme la différence entre la plus grande perte possible de productivité marginale d’un investissement alternatif dans les actifs immobilisés et le rendement des réserves internationales.

Par ailleurs, l’utilisation de réserves de change doit tenir compte de leur provenance. D’une manière générale, elles doivent provenir principalement de l’excédent commercial, d’un surplus du compte capital et subsidiairement des emprunts extérieurs ou d’appuis des institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.

Ce que je pense est que la RDC a effectivement atteint un niveau de réserves de change jamais réalisé depuis plus de deux décennies. Elles se chiffrent à 3,3 milliards USD à fin septembre 2021 contre 1,3 milliard USD à fin décembre 2011 et 21,7 millions USD à fin décembre 2001.

Le progrès est énorme parce qu’il permet au gouvernement de renforcer sa crédibilité et résilience en matière de gestion de politique de change et de politique économique.

En effet, la plupart des indicateurs ci-dessus évoqués se sont sensiblement améliorés. Le taux de couverture des importations est légèrement au-dessus de la norme de trois mois. Ce taux n’était que de trois semaines à fin décembre 2020. S’agissant du rapport entre les réserves de change et la masse monétaire (M2), le ratio est de 31 % contre une plage de 5% à 10% recommandée.

L’économie congolaise est donc capable de résister à une crise financière d’origine interne. Pour ce qui est du rapport entre les réserves de change et la dette extérieure globale, le taux est de 73,2% contre une norme de 40%.

Quant au taux de couverture de la dette extérieure à court terme par les réserves de change, il est largement au-dessus de la norme. Enfin, s’agissant du ratio entre les réserves de change et le PIB, il est de près de 12% contre une norme de 9%.

De manière globale, l’ensemble des indicateurs relatifs à l’optimalité du niveau de réserves de change se comporte très bien. C’est plutôt l’origine desdites réserves qui posent un problème. En effet, selon la Banque centrale du Congo, un peu plus de 50% de réserves de change à fin septembre dernier proviennent du financement extérieur.

Entre 2019 et 2021, la RDC a reçu 2,5 milliards USD du FMI, 1,6 milliard USD de la Banque mondiale, et 415 millions USD de la Banque africaine de développement.

En soustrayant le flux annuel des financements de 2021 reçus du FMI, de la Banque mondiale et de la BAD, le niveau de réserves de change tombe respectivement à 1,6 milliard USD, 800 millions USD et 758 millions USD.

Si on soustrait de réserves de change à fin septembre 2021 (3,3 milliards USD) tous les financements reçus de ces trois institutions, de 2019 et à ce jour (4,5 milliards USD), son niveau devient totalement négatif, soit -1,2 milliard USD.

Ce que je pense est que les réserves de change ont effectivement atteint un niveau exceptionnel depuis plusieurs décennies. Toutefois, ce niveau est loin de refléter la vitalité et la résilience de l’économie nationale comme on l’aurait imaginé.

Les bons indicateurs économiques sus-évoqués masquent très mal l’état d’une économie fragile fortement perfusée par les institutions financières internationales et régionales. En effet, sans perfusion financière extérieure de trois dernières années, la RDC aurait eu de réserves de change en dessous de zéro à fin septembre, et la politique de change de notre pays serait totalement inopérante.

Alors que sans appui extérieur (2011-2015), mais sur base des balances commerciale et de capitaux productives, la RDC a atteint un niveau record de 1,7 milliard USD à fin décembre 2013. Avec le même niveau d’appui extérieur, ce chiffre monterait à 6 milliards USD à la même date.

En définitive, du point de vue macro-économique, la stabilité des prix intérieurs et du taux de change reste principalement expliquée par l’accumulation des arriérés de salaires ou des émoluments, l’utilisation d’une partie de réserves de change pour payer les rémunérations, et le non financement de certaines dépenses nécessaires de fonctionnement et d’investissement.

En dépit de cela, certains députés provinciaux enregistrent de retards de paiements de leurs émoluments de plus de douze mois ! Du point de vue structurel, la part de ressources internes consacrées aux dépenses d’investissements demeure insignifiante, soit 5,5% à fin août 2021 contre 12,38 % à fin décembre 2013.

Ce qui compromet totalement la relance et le développement économique à moyen et long terme.

Ceci démontre aussi l’inconsistance du niveau de réserves de change qui se trouve en totale déconnexion avec l’économie réelle. De ce fait, il ne nous parait pas justifié d’apprécier le coût d’opportunité de ces réserves de change par rapport aux dépenses d’investissement qui en seraient faites. En effet, les réserves de change ne sont pas excédentaires et ne peuvent donc pas être consacrées aux dépenses d’investissement au risque de déstabiliser le cadre macro-économique actuel qui reste fragile.

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